Pièce de Jean Anouilh
A l’entrée des spectateurs, les personnages sont sur scène, immobiles, comme arrêtés dans leur mouvement ou leur pensée. La scénographie en deux parties superposées, les lignes de regard entre les personnages, tout suscite déjà la curiosité. Sans les introductions habituelles, nous voilà déjà embarqués dans l’univers mental d’un auteur volubile et inquiet qui n’arrive pas à écrire sa pièce. Le foisonnement des retours en arrière, les impostures des personnages, les colères impuissantes de l’auteur surprennent et amusent le spectateur qui, balloté, s’accroche à une intrigue sordide, instable et inquiétante.
On retrouve des personnages et des thèmes chers à Anouilh : le conflit inéluctable entre classe riche et classe pauvre, la lumière de l’innocente jeunesse, l’aigre désillusion de l’âge. A la mise en scène maintenant de jouer sur les cut et les effets de surprise, pour créer une unité d’ensemble dominée par une tension palpable et une atmosphère singulière, dure et poétique à la fois.
Avec talent, sincérité et finesse, chaque comédien donne vie et épaisseur aux nobles et aux domestiques qui cohabitent dans l’hôtel particulier parisien. Le jeu passe du réalisme à une fantaisie corporelle débordante soutenue par une création sonore particulièrement originale. Les personnages se métamorphosent et deviennent chœur, murmure, cacophonie. Et l’on se retrouve piégé dans cette incroyable mise en abyme labyrinthique où la distance même qui nous semble imposée par rapport à l’histoire nous fait y croire davantage encore. L’ironie a beau nous forcer au sourire, le drame et la beauté de ces personnages interprétés si justement nous touchent sans détour.
Un défi renversant et très ambitieux que les comédiens amateurs de l’atelier relèveront avec brio. Il s’agit là d’une pièce maîtresse de l’auteur et qui mériterait d’être mieux connue.