Feu la mère de madame
Création Le Mille-Feuille
Georges Feydeau
Durée : 50 min.
Tout public
Mise en scène : Solène Castets assistée de Sandra Burillo
Avec : Solène Castets, Valentin Faraut, Jérôme Lebourg et Ken Michel
Décor : Christian Castets | Régie : Cécilie Cuttat
« Si tu veux faire rire… prends des personnages quelconques. Place-les dans une situation dramatique, et tâche de les observer sous l’angle du comique. Le comique, c’est la réfraction naturelle d’un drame. »
L’intransigeant
Michel Feydeau, Mon père, auteur gai
Synopsis
Pénombre d’une chambre. Yvonne dort profondément. Soudain, fracas assourdissant d’une sonnerie. C’est la porte d’entrée. Yvonne toute groggy, se dresse et va ouvrir. Il est 4h … Lucien, son mari, a encore oublié sa clef…
Bien déterminée à ne pas laisser dormir Lucien, Yvonne enquête et tempête au sujet de cette fameuse soirée alcoolisée au bal des Quat’z’Arts. La pauvre Annette qui dort debout, est réquisitionnée pour donner son avis. Mais alors que le couple finit enfin par se coucher, le timbre de la porte retentit à nouveau.
« C’est Joseph, le nouveau valet de chambre de la mère de Madame ! », qui vient leur annoncer la terrible nouvelle : la mère d’Yvonne (et belle-mère de Lucien…) est morte!
Entre fatigue, panique, quiproquo et prises de bec, le couple s’active pour se rendre chez la « pauvre maman » décédée. Mais alors qu’ils franchissent le pas de la porte, le valet de chambre, plutôt nigaud, avoue une terrible méprise… Il s’est trompé de palier ! C’est en fait la mère des voisins qui est morte ! Le nigaud est chassé à coup de pieds, et le couple s’abandonne à une nouvelle scène de ménage.
« Je n’ai jamais compris, pour ma part, la différence que l’on fait entre tragique et comique. Le comique étant l’intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. »
Eugène Ionesco
Note d’intention
Feu la mère de madame
Feu la Mère de Madame, comme bon nombre des pièces de Feydeau, est une sorte de monstre satirique qui a l’efficacité, la fulgurance et la vélocité du cauchemar. Tout va vite, presque trop vite. Les personnages n’ont pas le temps de souffler que déjà, le danger revient assommer leur tranquillité. Et même pour le spectateur, il n’y a pas de répit, pas d’ennui. A la mesure que les personnages perdent le contrôle, la salle se déchaîne en fou-rire, comme dans un miroir inversé.
Quand on met en scène Feydeau, il y a comme la sensation que ce n’est pas exactement nous qui tirons les ficelles. Comme si tout était déjà écrit pour que ça marche, et que notre seul boulot est en fait de respecter au pied de la lettre la partition. Tenter de s’en éloigner, c’est s’exposer à la solitude du silence, parce que quand le rire n’explose pas, tout, l’histoire, les personnages, et même le comédien qu’on perçoit soudainement nu, tout, redevient quotidien et pitoyable. Il faut rire, pour ne pas tomber. Et hisser le rire au grade de nécessité…
Mais en essayant d’apprivoiser ce huis clos infernal par sa logique rythmique, tant verbale que gestuelle, on finit par retrouver une certaine forme de liberté. Cette liberté n’a rien de la psychologie variable, elle suit en fait l’évolution de la machine infernale, et dresse des caricatures cauchemardesques. Annette, à force d’exploitation, ressemble plus à un fantôme boiteux qu’à une bonne alsacienne. Elle finit d’ailleurs littéralement par dormir debout encastrée « dans » la porte, ce qui, bien qu’absurde, ne manque pas de déclencher l’hilarité. Joseph le valet de chambre, dans son grand corps dégingandé, devient lui-même inquiétant par sa présence omniprésente et sa maladresse poussée à l’extrême, frisant encore une fois l’absurde. Par ailleurs, comme dans un cauchemar, il attise l’imaginaire libidinal.
Tous les personnages sont tour à tour marionnettes, au sens propre du terme, donc physiquement manipulés par autrui. La bonne est sans cesse bousculée, et vrille comme une girouette. Joseph est chassé en cadence à force de coups et de cris. Lucien, le grand fantoche, subit les maladresses du valet qui l’habille. Yvonne elle-même reste une bonne partie de la pièce évanouie, abandonnant son corps aux soins distraits (et parfois frivoles) des deux hommes. Sans oublier la scène finale, qui les réunit tous sous les feux d’une danse infernale.
La machinerie du théâtre s’insinue dans les corps, quadrille l’espace ; le décor lui-même se révèle loufoque, ostensiblement faux et étrangement exigu. Le lit est en roue libre, les portes n’ont pas de mur et claquent en cadence.C’est certainement cela. En montant Feydeau, nous avons été amenés à chorégraphier l’hilarité, en la poussant dans ses retranchements corporels et rythmiques, jusqu’à l’intuition cauchemardesque de l’absurde.
Feu la mère de madame en images
Crédit photographique : Jean-Michel Melat-Couhet